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Cuatro Evocaciones

Publié à Mexico et New York dans les éditions Enrique Munguía dans la même année qu’il prononce sa conférence « Nuestra música popular » (Notre musique populaire). Il s’agit d’un recueil de quatre estampes de quatre lieus que Ponce a visité dans ses voyages. Projeté comme un recueil à huit volets dans une entrevue en 1921 (Barrón Corvera, 2004), il est réduit à cinq dont Viena n’a pas été vu le jour (Mello, 1996). À travers ces estampes, Ponce nous démontre sa polyvalence comme compositeur qui lui permet de recréer dans la langue musicale et avec l’accent régional des pays qu’il veut nous faire visiter musicalement. Pendant qu’Alhambra et Venise ont une influence fortement impressionniste, Versailles est composée dans une tendance néo-classique. De son côté, Broadway est écrit dans une rythmique américaine quoique la pièce rappelle l’admiration de Debussy pour ce type de musique. 

I. Alhambra

Dans cette pièce, Ponce réussit à nous transporter à la mythique forteresse dans la ville de Grenade. À travers cette pièce, il souligne l’importance de cette ville dans l’univers flamenco et du quartier gitan d’El Albaicín. Ceci est exprimé par le moyen d’une alborada avec des traits caractéristiques de ce genre propre aux mariages gitans. Parmi eux, les accords arpégés à la main droite à la façon d’un rasgueado de guitare. Le cante jondo (style de chant mélismatique propre au flamenco) ainsi que l’utilisation de la modalité phrygienne font partie aussi des ressources utilisées dans cette pièce.

Dans ce contexte, la forme de l’œuvre est ABA’B’A »Coda et la tonalité est la mineur, même si la tonique n’est jamais affirmée. Dans la première section, la pièce débute avec l’imitation du rasgueado de la guitare à la main droite dans un rythme constant. On entend l’irruption de la mélodie cante jondo dans une modalité phrygienne. Ensuite, une deuxième section est introduite par un rythme en hémioles qui s’alterne avec une mélodie en unissons à l’octave de type flamenco, pleine d’éloquence, sur une note ré pédale. Après un retour raccourci à la section du début, la pièce module vers la tonalité d’origine. C’est ainsi que la pièce se termine dans une atmosphère où la musique semble s’évanouir en l’air du soir.

II. Venecia

Dans un style profondément impressionniste, Ponce nous présente cette fresque sous forme de barcarolle. Par conséquent, les harmonies sont souvent complexes et brouillent les contours des images évoquées. On y trouve une ambiguïté constante entre majeur et mineur, l’utilisation des accords augmentés avec septième majeur ou mineur et des retards qui causent des frottements de seconde. Dans ce contexte, l’atmosphère générale est calme et contemplative et reste dans les nuances douces la plupart de la pièce.

L’œuvre est écrite en mi mineur dans une structure ABA’Coda. La première section nous présente des motifs ondoyants qui sont suivies des rythmes de barcarolle croche-noire. Cette barcarolle se dessine dans une section plutôt lyrique en si majeur (mes. 32). S’ensuit une transition où des accords de septième majeur ou de dominante couvrent une bonne partie du clavier. Ceci nous amène ensuite à une section contrastante où les arpèges rapides de double croches accompagnement une mélodie à la façon d’un gondolier qui pousse son embarcation. Un retour modifié du matériel de deux premières sections de l’œuvre module vers la tonalité du début majorisée. Finalement, la transition des accords de septième revient pour terminer la pièce dans une atmosphère calme malgré l’instabilité de la suspension du do dièse dans l’accord final de mi majeur.

III. Versalles

Pour reprendre les mots de Paolo Mello, Ponce démontre sont « goût pour les danses anciennes » dans cette pièce alla maniera d’una pavana (1996 :35). À l’époque où Stravinsky et Falla revisitaient le style classique à leur manière, Ponce écrit cette pièce en puisant dans son savoir-faire et sa solide formation dans le contrepoint. On y trouve des imitations et des élaborations de motifs de la façon la plus rigoureuse. En même temps, il n’hésite pas utiliser toutes les ressources de l’instrument où il écrit à trois portées pour marquer les notes pédales qui peuvent être tenues avec la pédale de soutien, c’est à dire celle du milieu.

La structure de cette pièce en mi mineur est ABA. Le motif principal commence par une sorte de broderie qui est élaborée davantage par l’accompagnement de la main gauche. Ce motif est utilisé par les deux mains comme un jeu de question-réponse. Le motif est présenté ensuite de façon variée à trois voix et accompagné par la main gauche soit de façon rythmée ou en accords brisés. Dans la mesure 16, le thème est présenté inversé et est suivi d’une séquence d’enchaînements harmoniques qui nous amènent à la dominante à la mesure 29. Dans cette section, la dominante et la dominante secondaire ramènent à la conclusion avec le thème du début dans sa version variée.

La section centrale en mi majeur se divise en deux parties. La première est aussi dérivée du motif principal de la pièce. La deuxième partie de cette section en mi mineur que la note pédale de mi grave soutient une série de fanfares qui se font doubler par les deux mains. Ce passage rappelle à la sonorité rustique du Menuet antique de Ravel, composé en 1895. Après une brève transition qui provient de la même section centrale, la pièce reprend toute la première section d’une façon textuelle.

IV. Broadway (2e version)

Cette pièce est la seule pièce que Ponce a écrit dans un rythme originaire de la culture américaine. La version interprétée par Arturo Nieto-Dorantes est celle de la deuxième version. Il s’agit d’une partition inédite sans date (mais probablement de son époque parisienne entre 1925 et 1932) que Ponce a laissé comme une alternative à celle publiée en 1921. Carlos Vázquez l’a enregistrée pour Angel Rercords en 1978. Celle-ci est la première version numérique de cette partition. Pour reprendre les propos de Monique Rasetti « la texture est légèrement différente à la précédente et sa partie centrale varie de manière considérable malgré les ressemblances harmonico-mélodiques et la même indication: Tempo di Fox-trot » (2006: 5).

La pièce est écrite en deux parties dans des rythmes très populaires au début du 20e siècle. Pendant que la première et la plus développée est un cake-walk, la deuxième partie est dans un rythme de Foxtrot. Il s’agit sûrement d’un souvenir musical de voyage de son séjour à New York en 1916. L’utilisation du clavier est très impressionniste dans l’utilisation de la modalité et des effets du piano. D’ailleurs, cela soulève la question sur l’origine de l’inspiration pour cette pièce, soit venant directement des Etats-Unis ou indirectement par le biais de Debussy et des pièces comme son Golliwogg’s Cake-Walk.

Aussi, il est à noter que Broadway est une pièce beaucoup plus complexe et développée que sa consœur. À l’instar de Debussy, l’introduction de la pièce se fait couper par une irruption d’une grosse caisse. Ensuite, le thème principal est écrit dans le rythme caractéristique de cette danse :

Ce motif du début est écrit en do dièse dorien. On entend aussi des arpèges rapides qui font allusion au banjo et aux cymbales. Ensuite, la mélodie est écrite sous forme élargie en octaves avec l’ajout de secondes à l’harmonie pour une sonorité stridente et humoristique propre au cake-walk.

La section centrale commence avec un autre rythme propre au cake-walk :

Ici, le compositeur écrit un canon très rigoureux pour cette section en fa majeur. Les modulations s’ensuivent dans le rythme du début dans un procédé harmonique semblable à un développement de forme sonate. Le thème principal revient dans sa version élargie et abrégée. Enfin, la conclusion du cake-walk se fait par une descente vers les profondeurs du grave, tout en douceur et avec des sonorités qui rappellent la contrebasse.

De son côté, le Foxtrot est écrit en deux sections. Précédée par une série d’accords rythmiques, une mélodie légère et syncopée qui se fait suivre par le rythme noire-deux croches typique de cette danse. À l’instar de la mélodie principale du cake-walk, on entend cette mélodie en version simple piano et ensuite en version élargie ff. La dernière section du Foxtrot est une coda dans laquelle la mélodie s’estompe progressivement jusqu’à ce que la musique disparaît avec une dernière note courte pp dans le registre grave.